- « Qui est-ce ? »
- « La force ! Viens par ici !»
Ces vociférations résonnent encore en moi. Mes tympans en palpitent encore.
« La force ! » Au fait, que signifiaient-ils ? Rien d’autre. Ils disaient ce qu’ils signifiaient ; ils signifiaient ce qu’ils étaient, ils étaient ce qu’ils entendaient être : « La force ! » Oui, la force, la force brute, la force animale, cette force qui troubla ma tranquillité, cette force qui m’arracha la liberté, cette force qui déstabilisa mon existence et me jeta sur les sentiers du chaos, en quête de moi-même.
Lomé, par un matin de mai 1992. Une pluie fine s’abattait. Il faisait froid. Étendu sur le dos, j’errais dans mes rêveries. Tantôt des voix d’homme et des martèlements de bottes contre le sol m’arrachèrent du lit. Je me précipitai dehors.
- Qui est-ce ? criai-je.
- La force ! Viens par ici ! vociférèrent des inconnus.
C’étaient des militaires, quatre montagnes de chair et de muscle aux allures de malfrats. Nerveux, hagards, puant de crasse, les voici, armés de fusils d’assaut AK47, des armes de guerre. L’un d’eux, un sergent, visiblement le chef du groupe, s’avança vers moi. Sculpté en ébène, c’était un gorille bien arrangé, un visage en parallélogramme, allongé d’une gueule dont les mâchoires pendaient. Il ne me salua pas. Il ne se présenta non plus. Il bredouilla des mots que lui seul put saisir. Néanmoins, par ses grands gestes de bras, je compris qu’il m’ordonnait d’ouvrir toutes mes portes pour une perquisition. Quelques jours auparavant, les autorités avaient annoncé sur les ondes que nos « forces de sécurité » effectueraient des perquisitions à domicile dans les quartiers populaires de Lomé. L’objectif de cette opération serait de démanteler des caches d’armes à feu. Bien entendu, je n’avais aucune arme à cacher, et de là mon calme imperturbable.
Au Togo, le treillis militaire écrase le droit. Ouvrir grandement mes portes à ces brutes sans questionner l’arbitraire légalité de cette intrusion chez moi, c’était donc la norme. Pas question ! Moi je me révoltais contre cette norme, moi je me révoltais contre cette tradition qui voulait que le citoyen se laissât faire. Le sergent s’avança de quelques pas, taureau effronté, gonflé de l’ignoble honneur qu’il se faisait d’entrer chez moi comme chez lui. Je me résolus à lui refuser ce privilège injuste, je me résolus à lui refuser ce privilège de lion. Je réfléchis en quelques secondes. Puis, à la clarté sombre de notre Constitution, je lui brandis au nez l’Article 28 qui stipulait l’inviolabilité du domicile, en cela renforcé par l’Article 12 de la Déclaration universelle des droits de la personne humaine. « J’espère que vous avez donc un mandat de perquisition », dis-je à la fin, d’une voix posée mais ferme. À ces mots, le sergent pouffa de rire et se tourna vers ses hommes : « vous avez entendu ça les gars ? Notre petit procureur de la République exige un mandat de perquisition ! » Puis il fit face à moi, tout rire éteint, menaçant : « La Constitution, c’est nous ! Si tu ne disparais pas devant nous dans une seconde, on va te montrer qui détient le pouvoir dans ce pays. » Je pressai rapidement mes méninges. Toute résistance physique était hors de question. Tout seul, je n’étais qu’un papillon dans les griffes de ces quatre tigres. Je trouvai plus sage de battre en retraite, et dénoncer ce scandale après. Au moins, sur-le-champ, je les avais fait entendre qu’ils violaient un droit humain.
Et les soldats se mirent à la tâche. Excités, agités, ils renversaient mes tables, arrachaient mes tiroirs, balayaient mes moquettes, soulevaient mes fauteuils et jetaient mes coussins contre le plafond ; ces possédés s’acharnaient sur tout, mettant ainsi mon salon dessus dessous. Tantôt ils envahirent ma chambre à coucher. « Sapristi ! » hurla l’un d’eux en désignant du doigt des journaux privés éparpillés sur ma table. Tous me toisèrent et devinrent menaçants. Du coup ils m’encerclèrent dans la petite pièce. Chez moi, au Togo, la presse privée, souvent critique à l’égard du régime, est taxée de sédition. Cela n’est un secret pour personne. Ces brutes allaient me causer des ennuis, pensai-je. Mais que diantre cherchaient-ils ? Des armes à feu ou des journaux privés? Ces âmes damnées du régime se moquaient de ce détail. Le sergent vint se planter devant moi. Un méchant sourire coula de ses lèvres. Je craignis qu’il me frappât. Il ne me frappa point. Plutôt il se mit à ramasser les journaux. Et c’est ainsi qu’il découvrit la bombe !
La bombe ? Non, ce n’était qu’un manuscrit. Un poème s’étalait sur la première page : Le Sauteur et La Perche. Sitôt le sergent me saisit par le cou. Une violente gifle me déséquilibra. Je ne pus voir le soldat qui m’avait giflé. On m’avait giflé par-derrière. Et ma chambre s’emplit d’une cacophonie de jurons, d’insultes et de cris furieux. Ils aboyaient, mélangeant français et vernaculaire, dans un galimatias que ponctuaient, comme un leitmotiv, « élément dangereux ».
- S’il vous plaît, ce n’est pas un tract mais un...
- Tais-toi !
Mais je ne me tus point. En dépit des gifles, je leur dis rapidement que ce n’était pas un tract, mais un manuscrit, l’embryon d’une œuvre littéraire. Ils s’en moquaient.
Deux des militaires m’agrippèrent solidement. A toute vitesse, ma tête se mit à travailler. Pas question de me battre. Aucune chance. Nos militaires n’étaient rien que d’élégants meurtriers en uniforme, instruits dans l’ignorance totale du droit des humains à la vie. Ils se comportaient chez nous comme en territoire ennemi. En un clin d’œil ils pouvaient me tuer sans même ciller. Mort, je ne pourrais plus défendre ni mes droits ni ceux d’autrui. L’important c’était de limiter les dommages maintenant et, plus tard, dénoncer ces abus de toutes mes forces de vivant. C’est ainsi qu’en pyjama, pieds nus, je fus emmené. Ils me traînèrent dans la rue comme un vulgaire bandit, sous les yeux de quelques dizaines d’hommes et femmes qui s’étaient attroupés devant leurs maisons, bouches verrouillées. Tantôt ils me jetèrent dans une jeep militaire. Deux soldats prirent place derrière, et de leurs bottes m’aplatirent contre le plancher du véhicule. Où m’emmenaient-ils ? Ils m’emmenèrent dans une maison qui ressemblait à toutes les maisons des quartiers populaires de Lomé. Je me rendis compte que je me trouvais ainsi dans une maison de détention secrète, un de ces endroits dont on avait souvent fait état au Togo. Une dizaine de militaires inondaient la cour. « C’est à manger ? » railla l’un d’eux en découvrant ses dents carnassières. Les soldats qui me tenaient ricanèrent et répondirent par l’affirmative. Alors tous se ruèrent sur moi et se mirent à me pilonner. Et je criais, et je hurlais, et je gémissais sous les coups qui pleuvaient au rythme des insultes et jurons. Mon corps, tout mon corps était couvert de sang. Ils me battaient, me rouaient de coups comme des robots, sans une seule question. Manifestement ils me battaient sans même savoir pourquoi. Tantôt plus de coups. Je gisais au sol, entouré par la meute de colosses qui haletaient, épuisés. Je pouvais à peine percevoir leurs rires sadiques et les insultes qu’ils me lançaient encore au sol.
Voilà que quatre bras m’arrachèrent du sol et m’agrippèrent. Tantôt je fus menotté, les bras immobilisés dans le dos. Ils me traînèrent de la cour à une pièce sans fenêtres, et me jetèrent au sol, devant une table haute, entourée de cinq ou six chaises métalliques. Tout le corps endolori, visage tuméfié, couvert de sang, je m’étendis au sol, toujours gémissant de douleur. Quelques minutes après, des pas précipités et des voix d’homme retentirent dans un couloir. Et voici que surgirent, en treillis, trois officiers de notre armée. L’un d’eux, plutôt petit, maigre, tête nue, un visage sec sillonné de nerfs taillés au couteau, s’assit en faisant face à moi. Ses épaulettes indiquaient le grade de commandant. Visiblement maître des lieux, il me fixait sans mot dire, les lèvres crispées par un sourire qui n’en était pas un. Les deux autres officiers, un capitaine et un lieutenant, tout en muscles, coiffés de bérets verts, s’assirent de part et d’autre du commandant. Ils me toisaient, l’un grinçant des dents, l’autre agitant nerveusement les jambes ; tous les deux contenaient manifestement une rage terrible.
Le commandant déboutonna son uniforme du cou jusqu'à la poitrine, et se mit à s’éventer du col de sa chemise. Les gestes félins du commandant, son regard métallique et son calme ignoble radiaient une cruauté froide. À partir de ce moment-là, je sentis crever mon assurance. Je frissonnai de la tête aux pieds ; mon cerveau bouillait tandis que mon cœur battait à me fendre la poitrine. Qu’allait-il advenir de moi ? J’étais perdu. Deux militaires me prirent par les aisselles, m’arrachèrent du sol, me traînèrent jusqu'à la table et me firent asseoir en face du commandant. Pendant quelques minutes il demeura silencieux, les lèvres toujours crispées sur ce curieux sourire, pendant que ses yeux de serpent oscillaient entre le manuscrit et moi.
« Mon ami », dit-il en s’accoudant sur la table. Sa voix semblait neutre et bien posée, pleine d’une douceur bestiale, comme vous en voyiez chez tous les gentils monstres de cette espèce. Il se racla la gorge et se pencha vers moi.
- « Où sont les armes de guerre ? » demanda-t-il subitement, sans circonlocutions.
Des armes de guerre ! Je levai la tête mais détournai mes yeux quand mon regard agonisant croisa son regard d’acier. Autant ne pas l’irriter. Mes mâchoires tremblaient quand je répondis d’une voix enrouée.
- Je n’ai pas d’armes de guerre, et j’ignore de quelles armes vous parlez. Vos hommes m’ont arrêté pour…
- Tais-toi ! vociféra le commandant.
J’avais du mal à saisir sa logique. Il me posait une question, il me donnait la parole en même temps qu’il m’imposait silence. Je ne pus voir le signe de main qu’il fit à l’un de ces hommes. Une puissante gifle me fit pirouetter. Je m’effondrai sur la table, toujours menotté dans le dos, le visage en feu. On me tint par le cou, on me tira vers l’arrière.
- « Je ne t’ai pas demandé de me raconter des histoires. Je veux savoir où tu as caché les armes de guerre, et c’est tout. »
J’étais fini. Car l’arbitraire et l’absurdité de ma situation ne me laissaient aucun espoir. M’accusait-on d’avoir écrit un poème ou d’être en possession d’armes de guerre ? Le commandant avait dû lire dans mes pensées. Je l’entendis dire, toujours de sa voix calme et posée : « Écoute-moi, mon ami. Je sais que vous autres bandits, fauteurs de troubles, quand vous vous mettez à écrire des baratins de ce genre, c’est que vous avez un fusil à côté. » Je tressautai, foudroyé par cette affirmation dont la gratuité m’écrasait. Soudain je me rendis compte que jusque-là personne ne m’avait posé aucune question sur mon identité. Et s’ils se trompaient de victime ? Je dus rassembler tout ce qui me restait d’énergie pour parler.
- S’il vous plaît, je suis Eglo, Cosmos Eglo. Je ne suis pas un criminel. Je suis un écrivain !
- Ah ! Les voilà ! s’écria le commandant.
À la lueur bestiale qui éclaira son visage, je compris que je venais de commettre une bêtise en déclinant mon identité, empirant ainsi mes malheurs. Il se tourna vers le lieutenant et lui dit quelque chose dans un dialecte que je ne compris pas. L’autre se leva, ajusta son uniforme, contourna la table et s’approcha de moi, le regard fixe et farouche. Alors, dressé de toute sa hauteur, il se cambra puis se tourna, offrant son profil. Je n’eus guère le temps de comprendre davantage. À peine l’entendis-je dire « tu veux faire le dur hein ? » que je vis tout le volume musculaire de sa jambe droite se détendre latéralement, et je sentis quelque chose comme une boulée de canon qui me frappait au visage, entre le front et le nez. Je ne sentis plus rien.
Quand je revins à moi, je compris que je me trouvais au sol, allongé dans un mélange d’eau, de sang et de vomissures. Je ne pus deviner pendant combien de temps j’étais resté inconscient. D’ailleurs, j’avais perdu la notion du temps, et pas seulement la notion du temps. J’avais même perdu l’image de mon propre corps. Mon crâne, mon visage, mon cou, ma poitrine, mon dos, mes articulations, tout mon corps avait été martelé, brisé, abîmé, complètement écrasé. Je n’existais plus. J’étais vidé de moi-même, je n’étais plus qu’un pantin désarticulé, et qui n’avait d’humain que des gémissements. Je ne sus combien de bras m’arrachèrent encore du sol. Mais à peine me jetèrent-ils sur la chaise que je m’effondrai de nouveau.
Tantôt je me rendis compte qu’un homme s’était accroupi près de moi. C’était le commandant. « Où sont les armes de guerre ? » demanda-t-il, glacial. Ainsi recommençait mon calvaire. Je secouai seulement la tête, aphone. Je ne sus au juste ce qui se produisit par la suite. J’eus seulement l’impression qu’un troupeau de buffles m’aplatissaient au sol et m’écrasaient. « Je vais te fusiller ! » entendis-je avant de m’évanouir. Quand je revins au monde, je compris qu’on m’avait allongé sur la table, et qu’on m’avait enlevé les menottes. Je levai lentement les bras pour essuyer mon visage. Je ne le pus. Mes mains, rongées par les menottes, enflées, inertes, ne servaient plus à rien. Je perçus des voix et des rires autour de moi. À travers le rideau de sueur, de larmes et de sang qui pesait sur mes cils, je remarquai la présence d’un quatrième officier. J’étais trop anéanti pour observer ses épaulettes. Mais à voir l’attitude raide et révérencieuse du commandant à l’égard de cet homme, il devait être un officier de haut rang. La grêle d’insultes et coups semblait avoir cessé. Tous les occupants de la salle se tenaient presque immobiles, tendus et muets, comme figés dans un garde-à-vous sans fin. Seul bougeait le nouveau venu. Grand, visage gras, front fuyant, à moitié chauve, il avait l’air bien détendu, manifestement plein d’assurance et d’autorité. Je le vis se pencher sur moi, et je pus voir ses épaulettes de près. C’était un colonel. Il me regarda d’un air compatissant et secoua légèrement la tête. Je voulus parler, je voulus bredouiller quelque chose, mais ma bouche, martyrisée, ne pouvait pas se prêter à cette épreuve. Mes lèvres en lambeaux s’entrouvrirent, et demeurèrent ainsi. Le colonel avait dû croire que j’avais soif. « Donnez-lui à boire », dit-il en se tournant vers le commandant. Tantôt un militaire inséra sans ménagement un goulot dans ma bouche. Je détournai la tête. Le militaire posa la bouteille d’eau près de moi et recula de quelques pas. Je vis le colonel souffler, les mains posées sur ses hanches. Puis je l’entendis échanger quelques mots avec le commandant.
- Je ne crois pas que cet homme soit vraiment dangereux.
- Mon colonel, ces gens n’ont mine de rien mais ils sont très dangereux ! Je connais leur tactique. D’abord ce sont des tracts mensongers qu’ils éparpillent un peu partout, pour intoxiquer la nation et inciter l’armée à la révolte. Ensuite ils profitent du désordre pour attaquer !
Mon poème pour attaquer ! Je n’en revenais pas. J’avais l’impression d’être égaré sur une étrange planète, entouré de créatures dont le raisonnement n’avait rien d’humain… Qui plus est, je ne comprenais pas pourquoi le commandant disait « ces gens…ils » quand il ne parlait que de moi. Le colonel s’assit. Les mains croisées sous le menton, les yeux mi-clos, il semblait perplexe. Manifestement, autant il éprouvait pitié pour moi, autant il ne voulait pas contrarier le commandant. Il souffla de nouveau et dit d’une voix lasse : « Alors mettez-le dans l’immédiat à la disposition de la police, pour qu’une enquête soit ouverte sur ses activités. Ne le touchez plus ». Je vis le commandant acquiescer de la tête en faisant des airs d’obéissance, alors que son regard tendu trahissait la frustration d’un tigre dont on aurait arraché un agneau de la gueule.
On m’amena au Commissariat central de police, au cœur de Lomé. Un policier (arme au poing) derrière moi, je fus conduit au bureau du « Flagrant délit », au premier étage. Je me vis debout, menotté dans le dos, face à un homme qui n’avait aucunement l’air d’un commissaire de police. Car il semblait fait pour le monde du sport : svelte, les épaules carrées, teint éclatant, il était moulé dans la fleur de l’âge, avec ses yeux étincelants qui débordaient d’un regard vif et perçant. Quel âge lui donnerais-je ? Trente quatre ou trente cinq ans. En tout cas il ne semblait pas tellement plus âgé que moi. Achevaient ce portrait du joueur de long tennis, des gestes aussi rapides que vigoureux, et tout ce corps en perpétuel mouvement, ce qui donnait l’impression que ce bonhomme avait avalé, par espièglerie, un ressort à spirales. N’eût été sa voix rude, n’eût été son air antipathique, le commissaire Kavor (je lus le nom sur son badge) m’aurait convaincu qu’il se trouvait là par erreur ! Je remarquai qu’il tenait négligemment des feuilles de papier : mon manuscrit ! Assis sur ce qui ressemblait à un fauteuil de jardin, il jetait un regard ennuyeux sur mes écrits et, du même regard ennuyeux, me toisait de la tête aux pieds. Puis il soupira, perçant mon visage de ses yeux de serpent. « Est-ce tout ce que tu peux écrire ? » demanda-t-il d’une voix grave. L’incongruité de cette question m’énerva, bien que je m’efforçasse de demeurer tout à fait impassible.
Il se leva, faisant signe au policier de m’amener. Lui devant, moi derrière, poussé du bout d’un fusil de guerre dans le dos, nous descendîmes au rez-de-chaussée, à la réception du commissariat. Là se trouvait la cellule de garde à vue. Était assis à une table encombrée de paperasse, un brigadier de police, trapu et laid, visage envahi par un nez énorme, bouche immense, de petits yeux obstrués de sourcils en béton. Allaient et venaient, qui me fusillaient de leurs regards farouches, des policiers débraillés. J’avais soif, j’avais ardemment soif d’une goutte de sympathie dans cet océan de haine. Était-ce vraiment de la haine que ces policiers éprouvaient à mon égard ? Non. Le dédain, peut-être. Ils dédaignaient les criminels. Mais je n’étais pas un criminel, moi ! « Mettez-lui subversion », dit le commissaire Kavor au brigadier. Puis il tourna les talons et s’en alla. J’avais l’impression que le commissaire ne voulait pas perdre trop de temps avec moi. Mon affaire semblait être une affaire classée, avant même de commencer. J’étais d’ores et déjà reconnu coupable jusqu’à preuve palpable de présomption irréfragable d’innocence… Et ce fut au tour du brigadier de déverser son regard ennuyeux sur moi pendant que je lui fournissais mes informations personnelles qu’il enregistrait dans le Registre de garde à vue. Tantôt c’en était fait. Je fus jeté dans la cellule, sous un chef d’accusation fort simple : subversion.